🇵🇪 CUZCO >> PUNO (via l'Amazonie) 🇵🇪

 

L’appel de la forêt amazonienne était irrésistible…

 

À Qosco, le trio se séparait le temps d’une semaine. Mathieu filait vers Puno tandis que JB et moi bifurquions vers l’enfer vert. Quelque peu contraints par le temps, nous décidâmes de recourir aux transports motorisés. C’est depuis la ville d’Urcos, à une cinquantaine de kilomètres au sud de la capitale du Tawantinsuyu, que ceux-ci se lançaient à l’assaut des cols vertigineux avant de plonger vers la jungle. Nous profitâmes d’une déclivité favorable pour rallier facilement à vélo cette commune située sur l’axe CuzcoLac Titicaca. Sur la place centrale, nous constatons que le camion est la seule option pour se rendre en Amazonie ! En embarquant, nous ne pouvions imaginer que cette Route du baroque andin sur laquelle nous nous élancions n’aurait effectivement absolument rien de classique.

 

Déjà, les premiers lacets déchiquetés en direction de l’Abra Cuyuni à 4195 m au-dessus du niveau de la mer donnent le la. Bringuebalés sur des pistes défoncées par la saison des pluies, nous franchissons cependant sans trop d’encombres ce premier obstacle.

 

 

En début de soirée, nous attaquons les 4725 m de l’Abra Pirhuayani, dernier verrou entre deux mondes. Dans l’obscurité d’une nuit sans étoiles, la seule image de ce passage au sommet restera celle de la frêle lueur d’une bougie allumée par notre chauffeur dans la minuscule chapelle juchée là, que j’accompagnerai dans sa prière pour que la descente ne se convertisse pas en montée au ciel. Endormissement, freins mis à rude épreuve, pistes glissantes, il n’est pas rare que des bus chargés de touristes, des camions remplis de marchandises, chavirent et disparaissent dans le gouffre. Le croisement des bahuts devenant un exercice de conduite périlleux au moment où, une roue dans le vide, nous éprouvons l’amère sensation que le centre d’inertie de l’engin est en train de nous attirer vers l’abîme. Pour cette descente, comme dans un rodéo, je déciderai de me cramponner à la rambarde, une jambe de chaque côté de la monture mécanique, prêt à sauter.

 

De l'Altiplano aux Yungas

 

Le jour se lève et nous entrons dans les Yungas lorsque, brutalement, le convoi stoppe à hauteur de Marcapata. Très vite, nous apprenons qu’un pan entier de montagne s’est effondré. Nous resterons bloqués ici vingt-quatre heures. Au loin, les explosions nous révèlent que certains chauffeurs transportent de la dynamite pour pouvoir, à tout moment et en tous lieux, dégager les voies obstruées. De chaque côté de l’éboulement, des dizaines de camions attendent. Alors que les forçats de la route entreprennent un long travail de génie civil façon système D, les centaines de passagers font leurs provisions dans le village qui d’un coup voit sa population bondir. Une aubaine pour les affaires. Cette joyeuse animation sera le passe-temps d’un temps suspendu.

 


Enfin, la chenille redémarre et immédiatement un très local divertissement va égayer les âmes. Février, c’est carnaval et la confrontation entre jouteurs peut débuter : à chaque croisement d’engins, bananes, riz, boue, pommes volent d’un camion à l’autre. Certains s’affrontent à la lance en bambou, soigneusement préparée. La bataille est féroce. Sans cotte de mailles ni casque, tout le monde entre pourtant dans la danse. L’ambiance est bon enfant mais quelques-uns en sortent quand même amochés.


 

La végétation est maintenant omniprésente, envahissante. Majestueuse, nous contemplons, assis sur la cabine du chauffeur, les panards sur le pare-brise, l’infinie étendue de cette légendaire forêt. Magique ! Trônant des heures durant sur le toit et avec pour unique horizon l’impénétrable sylve, visions et songes s’emparent de mon esprit. Tout comme certaines descriptions d’explorateurs…Il ne faudrait tout de même pas « qu’un oiseau se pose à portée de main pour disparaître aussitôt, ni que des volées de perroquets se dirigent vers nous pour s’évanouir à leur tour et que, balbutiant des paroles inintelligibles et en proie à des tremblements nerveux », l’un d’entre nous soit ainsi désigné comme l’élu, le piai, recevant les « pouvoirs » dont parle Alfred Métraux dans Religions et magies indiennes d’Amérique du Sud. Il ne faudrait pas non plus se retrouver nez à nez avec les tribus guerrières d’Amazones décrites par Gaspar de Carvajal dans sa Découverte du fleuve Orellana, ni face aux Ewaipanoma, ce peuple sans tête dépeint par Walter Raleigh dans The Discovery of the Large, Rich ans Beautiful Empire of Guiana lorsqu’il relate sa remontée de l’Orénoque à la recherche d’El Dorado au XVIe siècle.

 

 

C’est cet univers que nous pénétrons dorénavant après avoir dévalé près de 4500 m de dénivelé. L’Amazonie, nous y sommes ! Nous traversons le village de Quince Mil puis, au terme de 265 kilomètres parcourus en…58 heures, parvenons enfin à notre destination, Mazuco.

 

Souhaitant combiner immersion en forêt et retour progressif vers l’Altiplano, nous ne nous attardons pas à Mazuco et dès le lendemain, sondons les itinéraires possibles auprès de la population. Des canots à moteur remonteraient le fleuve Inambari en direction de la Cordillère. Nous gagnons à vélo l’embarcadère situé à 3 kilomètres du centre de Mazuco et attendons pendant des heures le signal pour appareiller.

 

 

Les amarres larguées, nous naviguons à présent, hypnotisés par cette nature intacte, sur 40 kilomètres de méandres pour aboutir à Cuesta Blanca. Une quinzaine de bicoques, un vague terrain de foot et une piste tout aussi vague qui mène à l’Altiplano. Voilà à quoi ressemble Cuesta Blanca.

 

Sous une terrassante chaleur chargée d’humidité, nous demandons à un villageois s’il accepte de nous transporter sur l’autre rive du fleuve afin que nous nous aventurions au cœur de la jungle. Il hésite un peu, nous remet des machettes dont nous nous équipons et nous propose des armes que nous refusons. Peut-être aurions-nous dû l’écouter ! Il évoque la présence de tigres. Sans doute le jaguar. Nous nous enfonçons enfin dans l’enfer vert : araignées, serpents aux couleurs inquiétantes à nos pieds, abasourdis par l’effort et affaiblis par l’hypersudation, nous n’éprouvons là qu’une infinitésimale partie du calvaire qu’ont pu vivre les premiers explorateurs il y a 500 ans.

 

 

De retour au village et avant de quitter nos amis, nous nous mêlons à l’évènement : un match de foot. Un gringo dans chaque équipe et c’est parti pour une bonne partie de rigolade. Un des joueurs, les deux bras amputés au niveau des coudes, accusé d’avoir touché le ballon de la main s’amusera de cette cocasserie. Il nous racontera plus tard qu’alors mineur, la dynamite les lui avait arrachés.

L’heure de la séparation avec nos amis a sonné. Avant d’enfourcher notre nouveau canasson métallique, étreintes, saluts amicaux, remerciements sont échangés. Notre ami mineur regagnant lui aussi l’Altiplano, voyagera avec nous.

 

Très vite, nous sommes déjà à l’arrêt. Une averse tropicale a fait gonfler une petite rivière. Impossible de franchir le cours d’eau. Il faut attendre. Un des assistants du conducteur traverse à la nage pour arranger la piste de l’autre côté. Après une longue attente, le pilote nous signale qu’il va tenter la traversée. Il faut monter et s’accrocher. L’engin se lance alors dans les flots et, non sans avoir failli basculer à l’amorce de la piste, réussit à récupérer l’étroit chemin.

 

 

Plus tard, nouveau changement de décor lorsqu’après une journée et 150 kilomètres d’ascension, nous troquons les étouffantes journées tropicales pour la nuit glaciale des 4873 m de l’Abra Oquepuño. Pas le meilleur endroit pour s’enliser et pourtant…Notre compagnon mineur sera le premier volontaire pour s’échiner, une pelle coincée entre ses deux moignons gelés, à déblayer l’essieu…Ce n’est qu’après plusieurs tentatives infructueuses pour nous extirper de ce maudit fossé que la résignation gagna et vainquit. Nous patienterons ici toute la nuit à grelotter sous la bâche. À l’aube, ce sera finalement un autre camion qui nous prêtera assistance et nous sortira de l’ornière.

 

 

De nouveau perchés sur notre bolide fantastique, les cheveux au vent, ivres de bonheur, nous achevons cette équipée sur les rives du lac Titicaca.

 

 

PS : toutes les pistes de ce récit sont aujourd’hui bitumées. Mon coeur saigne…

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