🇨🇱 Chaitén >> Glaciar Perito Moreno 🇦🇷

 

À contre-courant des flux touristiques, tel pourrait être le résumé de ce périple mais aussi la devise de tout voyageur qui se respecte. Se diriger vers la Terre de Feu en plein hiver naissant relève de cet état d’esprit. La « mission vendanges » terminée dans la région de Linares, cap au sud donc. D’abord jusqu’à Puerto Montt en bus puis, par bateau jusqu’à Chaitén.

 

C’est là que commence ma virée australe à vélo par la bien nommée Carretera Austral. Huit jours d’humidité permanente, des vêtements qui ne sèchent jamais et, à partir de mon arrivée le 11 mai à Coyhaique, des chutes de neige abondantes qui s’abattent sur la région. Le 14 mai, après une vingtaine de kilomètres dans 40 cm de poudreuse et plusieurs chutes somptueusement amorties par cet épais matelas blanc, je me rends à l’évidence : impossible de poursuivre ! En rade au milieu de nulle part à attendre je ne sais quoi, la providence m’enverra une camionnette qui me conduira à Puerto Ingeniero Ibañez sur les bords du Lac Buenos Aires

 

À la même latitude, une centaine de kilomètres un peu plus à l’ouest, le Campo Hielo Norte, cet immense champ de glace de 120 km de long sur 50 km de large déverse ses langues glacières, côté ouest dans les fjords chiliens, côté est dans les lacs-frontière avec l’Argentine. Et quoi de plus merveilleux que d’entrer pour la première fois en Argentine par cet inaccessible et minuscule poste-frontière de Chile Chico/Los Antiguos en pleine Patagonie !

 

Cette étape du 15 mai se déroulera en trois phases : d’abord la traversée du Lac Buenos Aires en bateau entre Puerto Ibañez et Chile Chico puis, le passage des deux douanes et les 10 km qui les séparent par un chemin boueux et enneigé de « calaminas » (tout un poème), enfin, la liaison de 60 km en camionnette jusqu’à la commune de Perito Moreno. Les averses de neige ne faiblissant pas, la fameuse route 40 coupée et plus généralement, tous les axes de circulation inutilisables, il faut attendre ! Et en attendant, le courant passe immédiatement avec les argentins. Un sentiment qui se renforcera au fil du temps.

 

 

La route 40 impraticable, c’est donc en bus et en récupérant la route N°3 qui longe la façade atlantique jusqu’à Rio Gallegos que le 18 mai je parviens à rejoindre El Calafate. J’y élirai quasiment domicile ! Petite bourgade de 6000 habitants à l’époque, à 300 km de la première grande ville, 2000 km de Buenos Aires, 70 km du Glaciar Perito Moreno et surtout, tout autour : rien ! Inspirant à plus d’un titre :

 

Midi à quatorze heures

 

C’est ici, oui ici

Et pas ailleurs

Cela ne pouvait qu’être ici

D’ailleurs

Loin

Là-bas

Si loin d’ici

Un autre ici en somme

Mais là-bas

Là-bas…

Là où, au milieu de nulle part

Entendez bien

Ici même

Et de toutes parts

Je me sens quelque part.

 

 

Tant de souvenirs concentrés en un temps si court. Tant de visages planant dans cette indescriptible apesanteur. Tous happés par une dimension à l’espace infini et au temps distendu.

 

Des nuages lenticulaires crépusculaires aux crépitements bleus du rougeoyant météorite qui finira par saupoudrer ses poussières extra-terrestres sur le Campo Hielo Sur, en passant par ce Perito Moreno qui craque, explose et s’effondre par pans entiers pour finir par dériver sous forme d’extravagantes sculptures de glace à la surface du Lac Argentino, c’est un véritable feu d’artifices des éléments que les steppes patagoniennes m’auront concocté.

 

 

Et les amis : Simon, jeune voyageur et artisan argentin qui me transmettra les rudiments de son artisanat m’ouvrant ainsi de nouvelles perspectives, Adolfo, animateur de la radio LU14 d’El Calafate qui nous invitera chaque soir à ces émissions « rock » pour tantôt conter mes histoires de voyage, tantôt écouter celles de Norberto, portègne aux cheveux grisonnants et au vivace lunfardo dépeignant personnages historiques oubliés de son pays et figures du tango, et Julieta, 16 ans et partenaire de tango de Norberto qui, tous deux, donneront des cours à cette belle troupe de jambes raides.

 

Et puis, Ernesto ou Kallfu, probable descendant des Tehuelches avec qui nous partagions le maté dans ces rues vides et glaciales des nuits du bout du monde ou encore, « El loco Malvinas », cet homme bourru, barbe noire, lunettes teintées, possédé par la Guerre des Malouines qui nous hébergera avec Simon durant quasiment un mois avec en mémoire ces nuits scotchées, maté cocido et dulce de leche à volonté, aux matchs de la sélection nationale jouant la coupe du monde de football de l’autre côté du globe. Enfin, Gabriel, voyageur uruguayen rencontré au Glaciar Perito Moreno, et son prototype à pédales avec toit modulable en voile, lequel alterne travaux à Punta del Este et périples latino-américains à vélo.

 

 

Dans cette Argentine ruinée par la violente crise financière, économique, politique et sociale qui venait de se produire et où des bons (Lecop, Patacones…) remplaçaient la monnaie pour juguler la fuite des capitaux (il y avait même des maisons de change pour échanger des bons de province à province), sa richesse était ailleurs : dans son peuple et dans sa terre !

 

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